Ce qui me meut
Gérard Thouraille
Je m’offre une mini séance de sophrologie autour de mes valeurs. Je laisse venir 3 valeurs incompressibles de mon existence actuelle. Et puis, j’en garde une.
J’accueille mes sensations. Je les comprends : je les prends avec moi ou plutôt elles me prennent avec elles. Mon paysage mental se découvre et je discerne ses formes, ses contours, ses fluctuations, son impermanence. L’évidente unité de tout ça apparaît et s’impose. Pas de corps d’un côté et d’esprit de l’autre. Rien qu’une indivision somptueuse et banale, chair et âme mêlées. Alors trois mots s’affichent sur mon écran intérieur. Loyauté sincérité simplicité. Chacun désigne ce qu’on appelle une valeur, une notion qui vaut pour moi et qui résonne. Puis, faisant écho à la demande, je choisis la loyauté. Mais j’aimerais qu’elle soit bien comprise. Malgré une référence à la loi dans le mot lui-même, il n’est pas question ici de soumission aux lois arbitraires des humains. Il s’agit du poids et de la dignité d’une attitude, d’un comportement ou d’un état sans calcul ni falsification, simplement sincère et en accord avec la vérité des êtres et des choses. La sincérité et la simplicité lui sont consubstantielles. Or cette triple notion exprime avec bonheur le moment de pleine présence que je vis maintenant.
Au rythme de ma respiration, je m’imprègne de cette valeur… je la laisse circuler dans mon corps sans analyse, sans jugement. Dans quelle(s) partie(s) de mon corps je la ressens, quelles sensations cela provoque en moi ?
En fait je n’ai pas vraiment choisi. La valeur s’est posée d’elle-même avec la force de l’évidence. Je n’ai pas opté intellectuellement pour une idée abstraite afin d’observer ensuite les effets de ce choix sur mon vécu. La loyauté était déjà là dans toute la largeur de ma situation actuelle. Loyauté sincérité et simplicité habitent le va-et-vient de mon souffle, ce balancement simplement fidèle à l’échange gazeux qu’il assure et à la vie qu’il permet. Elles logent aussi dans la pulsation que je ressens dans la poitrine et parfois jusqu’aux confins du corps, dans ce battement répété qui scande ma présence, dans cet événement simple pour ma conscience même si la physiologie en est complexe. La loyauté réside tout autant dans la pesanteur brute et tranquille de mon corps allongé, assis ou debout. Elle se trouve à tous les niveaux de ma profondeur organique, de ses régions, de ses fonctions, de ses échanges, de sa chaleur. Elle circule avec le flux des sensations qui m’arrivent et adviennent telles quelles sans détour. Et quoi de plus loyal que le simple fait de ma conscience sans cesse ouverte à ce qui est et d’abord à elle-même ? Ou que l’immédiat sentiment de ma propre existence, là, entourée d’un monde et à proximité d’autrui ? La valeur « loyauté » ne surplombe pas mon vécu à la manière d’une étoile éclairant un territoire. Elle est, ce vécu même.
Au rythme de ma respiration, je m’imprègne de cette valeur… je la laisse circuler dans mon corps sans analyse, sans jugement. Dans quelle(s) partie(s) de mon corps je la ressens, quelles sensations cela provoque en moi ?
Après ce temps de respiration associé à ma valeur choisie, je me pose les questions suivantes et j’y réponds en quelques lignes.
Si cette valeur était paysage ou une œuvre d’art.
Paysage, la valeur serait le Puy de Sauvagnac en moyenne montagne limousine, une hauteur vaste et boisée que je voyais enfant de la maison de mes grands-parents.
Tableau, elle serait « Impressions, soleil levant » de Monet ou « La fée électricité » de Dufy. Musique, ce serait « Le sacre du printemps » de Stravinski. Sculpture, ce serait « L’éternelle idole » de Rodin. Texte littéraire, elle serait le premier chapitre de « Le bruit et la fureur » de Faulkner ou le dernier chapitre de « Ulysse » de Joyce (deux extraordinaires monologues intérieurs).
Si cette valeur était une odeur.
Ce serait celle de la terre et de l’humus dans un sous-bois en automne.
Si cette valeur était un son.
Ce serait le bruit de la mer : puissance, répétition, immensité.
Si cette valeur était un mets.
Ce serait la tartine beurrée d’un pain croustillant trempée dans un café crème.
Si cette valeur était une matière.
Ce serait le bois d’un meuble en noyer ou en chêne massif.
Si cette valeur enfin était une technique sophrologique.
Le mot « technique » m’embarrasse un peu à cause de sa connotation contemporaine qui renvoie à un protocole codifié et préétabli. Or la pratique sophrologique est pour moi un art au sens premier : l’accomplissement en devenir d’un ouvrage en train de se faire et dont on ne sait pas au début ce qu’il sera. Inhérentes à la personne humaine, l’indétermination et la liberté rendent cette rencontre des corps et des consciences peu compatible avec un protocole technique. La primauté du vécu fait sortir des orthodoxies… Néanmoins je répondrai ici la sophronisation de base, qui n’a rien d’une sophro sommaire pour débutants et opère à un niveau fondamental, basique, de notre condition.
Comment ma valeur me guide dans ma vie. Comment elle me met en mouvement sur le plan émotionnel et personnel.
N’étant ni une référence extérieure ni une boussole orientant l’existence, la loyauté ne me guide pas stricto sensu. Elle semble aller de soi. Ce sont la fausseté, le mensonge et les petites stratégies insincères qui exigent des efforts. Bien sûr une valeur animant l’être humain ne tombe pas du ciel. Elle résulte aussi d’un passé, concerne étroitement le rapport à soi-même et devient aussitôt compréhension d’autrui avec de possibles prolongements d’amitié et de fidélité. Mais l’empathie diffère de la sympathie ou de la compassion. La valeur prend ici en compte ce qui est et en premier lieu la présence d’autrui à la fois radicalement autre et sujet comme moi. Vigueur intérieure plus vécue que pensée, cette loyauté-là n’est pas toujours facile. Elle affecte puissamment la relation (forcément narcissique) à soi. Elle a parfois le visage de la colère. Elle est impitoyable avec les chimères qui flattent notre petit ego, avec les idées prêtes-à-porter derrière lesquelles on s’abrite, avec les soumissions faciles à l’esprit du temps.
Pour conclure ce texte, j’offre un cadeau personnel aux lectrices et lecteurs de la rubrique ! Un cadeau très simple, en lien peut-être avec ma valeur et surtout sincère.
Un cadeau en deux parties, adressé aussi à Marcella pour l’exercice qui fut bien plus qu’un exercice de style. D’abord ce sera un koan zen et merci au « maître » qui jadis m’a fait comprendre que méditer ne consiste pas à se prosterner devant des effigies :
« Si tu rencontres le Bouddha, tue-le ».
Ensuite un court poème en forme de haïku japonais. Écho de la situation sophrologique, il termine mon livre Psychosomatique et sophrologie.
« Toujours déjà là
Pétri de chair et de temps
Ici ton logis ».
Gérard Thouraille
Courte bio
Né en 1949, philosophe de formation initiale, kinésithérapeute en 1975, sophrologue depuis les années 80, enseignant aujourd’hui à Bordeaux, Paris et Bruxelles, psychothérapeute de relaxation (2002) ayant enseigné pendant 15 ans à l’université de Limoges, auteur de 3 livres : Relaxation psychogène et oncologie (1990), Relaxation et présence humaine (2004), Psychosomatique et sophrologie (2022) et co-auteur de Métasophrologie (2016). Gérard Thouraille est aussi poète.