Éthique et déontologie dans la pratique sophrologique
Chloé Elkaïm
En rédigeant le titre de cet article, un souvenir de lycée me revient.
Ma professeure de philosophie nous avait raconté que, lors de ses études supérieures, alors qu’elle lisait Éthique à Nicomaque d’Aristote, sa petite sœur avait été comme ensorcelée par ce titre dont elle ne comprenait pas les mots, mais qu’elle répétait en boucle.
Éthique, déontologie et responsabilité dans le cadre sophrologique, quelques mots que nous répétons nous aussi, mais quel sens leur attribuer ?
Pourquoi ne pouvons-nous pas faire l’impasse de les intégrer pleinement dans notre pratique ?
Qu’est-ce qui se raconte de nous dans le rapport que l’on entretient avec eux, et comment les incarner en pratique par-delà la compréhension théorique que nous en avons ?
Pour ne pas faire comme la petite sœur de ma professeure de philosophie, c’est en éclairant ces mots au prisme du sens que je leur attribue et tel que je me les suis appropriée que je me propose de les partager avec vous.
Crédit photo : Diane Photographie
Parlons d’abord de déontologie : elle est définie comme « régissant un mode d’exercice d’une profession ou d’une activité en vue du respect d’une éthique. C’est un ensemble de droits et devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients ou le public. »
En effet, la déontologie (du grec deon, -ontos, ce qu’il faut faire, et logos, discours) traite des devoirs à remplir et des obligations à respecter, et inclut aussi un propos moral, relatif, donc, à notre conduite.
Cette déontologie fait l’objet d’un code dont nous sommes signataires et que nous venons afficher dans nos cabinets, et respecter aux travers de nos comportements. Il vise donc à instaurer un cadre, des droits et obligations de nature à sécuriser la relation. Mais de quelle manière ? Prenons par exemple la notion de confidentialité.
Le code déontologique de la SFS précise dans son article 2 : « La sophrologie dans ses branches médicales, paramédicales et sociales, est une discipline du domaine des sciences humaines. Elle implique la mise en œuvre de moyens qui tendent vers l’autonomie et le mieux-être des patients/clients/élèves dans le respect des croyances de chacun (religieuses, politiques, philosophiques). Cette préoccupation s’applique également au sophrologue s’exprimant en public :
- En s’interdisant toute pratique ou pression pouvant mettre en péril l’intégrité du patient/client/élève,
- En fixant les honoraires avec mesure et en s’interdisant toute exploitation matérielle ou financière,
- En respectant et en faisant respecter les règles de confidentialité. »
La règle est claire, factuelle : ce que la personne dépose dans le temps de la séance reste au sein de notre lieu de travail, dans cet espace dédié.
La personne qui vient en consultation est donc en droit de bénéficier d’un espace sécurisant sur un plan psychique et émotionnel.
Elle peut se permettre de déposer ses peurs, d’exposer ses doutes, d’évacuer son stress, cela ne sera pas répété. Car consulter un sophrologue est, en soi, une expérience phénoménologique.
En garantissant la confidentialité, nous amenons peut-être déjà la personne à se décaler d’une conscience ordinaire, à se dire en nous disant, en suspendant le jugement par l’époké.
Ce cadre, finalement, dans l’espace et le temps de la séance, offre aussi une limite contenante.
La démarche est amorcée. Je pourrais dire aussi l’aventure sophronique😊.
Mais, sur un plan éthique, cette règle prend une dimension supplémentaire. Car l’éthique, tirée du mot grec ethos qui signifie « manière de vivre », s’intéresse à nos comportements et est aussi définie comme science de la morale ou ensemble des conceptions morales de quelqu’un ou d’un milieu.
Cela ne nous engage-t-il pas à nous interroger sur nos propres limites ?
Ainsi une question me vient, plus globale celle-là : est-il possible d’accompagner tout le monde ?
Je distingue ici la pratique de séances en groupe de l’accompagnement individuel, plus intime. Je m’interroge : qui j’accompagne ?
Pour ma part, il ne me semble pas possible d’accompagner toutes les demandes. Certaines, parce qu’elles dépassent mes compétences et d’autres pour des raisons plus personnelles, en lien avec mes propres appétences ou au regard de mon histoire.
Cela me renvoie à ma réalité objective et à la conscience que j’en ai, indispensable à mon éthique de sophrologue.
Il en va de même pour les demandes des proches. Ils/elles nous connaissent, se sentent rassuré·e·s car justement nous nous connaissons. Dire oui ou dire non peut-il se décider sur la base de notre envie ou même de notre besoin financier ?
Ce type de demande interroge toujours pour ma part mes valeurs.
Pour y répondre en mon « âme et conscience », j’en reviens à notre code de déontologie qui « implique la mise en œuvre de moyens qui tendent vers l’autonomie et le mieux-être » des personnes accompagnées.
Si la personne en consultation n’est pas libre d’ouvrir tous les tiroirs de son existence, comment pourra-t-elle découvrir, conquérir et transformer ?
Si le/la praticien.ne se trouve quelque part dans l’un de ces tiroirs, dans un autre rôle que celui de sophrologue, ne peut-il/elle alors encombrer le/la consultante dans sa quête d’autonomie, à tout le moins la limiter ?
Dire oui pour accompagner la voisine qui connaît très bien notre belle-sœur et vit en face de chez nous est un choix qui demande réflexion et interroge notre éthique et je chéris pour ma part mes valeurs de réalisme et d’humilité.
C’est en s’engageant à respecter les règles de notre code déontologique que l’on se reconnaît sophrologue. Mais c’est en les éclairant au prisme de notre réalité objective et de nos valeurs que nous nous forgeons une éthique structurante.
Car notre accompagnement est vivant, notre « matière » pétrie d’émotion. Profondément humain, notre sensibilité le colore. Chacun, chacune d’entre nous offrira une couleur et des contours légèrement différents dans ses accompagnements, et tant mieux !
Mais si nous intégrons notre déontologie, nous en nourrissons notre humanité, et nous nous reconnaissons être sophrologue.
Et c’est dans cette incorporation qu’apparaît l’éthique. Qui, finalement, nous façonne en nous interrogeant. En un certain sens, se forger une éthique nous offre d’entrer dans un questionnement existentiel.
Éclairer ses motivations, se connaître, être au fait de sa réalité objective est en somme être responsable, une finalité indispensable à notre métier. Car si nous amenons les personnes sur un chemin d’autonomie passant par une rencontre à soi-même, il nous est essentiel de marcher sans cesse à la rencontre de nous-même. Je ne partirais pas avec un guide de haute montagne qui n’a jamais randonné !
Se reconnaître être sophrologue, c’est aussi je crois réfléchir à nos valeurs. Celle qui me nourrit est l’humilité. Elle me permet de réinterroger le cadre, de poser une intention, de réévaluer la visée du travail que je mène avec chaque personne, aussi.
Mais la pratique qui m’est indispensable à cet exercice est celle de la supervision et de l’analyse de ma pratique.
Elle me permet de maintenir une dynamique de rencontre avec moi, de réinterroger mes propres valeurs et d’étayer mon éthique. Parce qu’elle me borde, elle me sécurise et m’aide à accompagner sereinement les personnes qui me font confiance en poussant la porte de mon univers de sophrologue.
Elle n’est pas une option mais une nécessité.
Et vous, comment incarnez-vous votre éthique ?
Propos de Chloé Elkaïm
Courte biographie
Chloé Elkaïm est sophrothérapeute dans le Tarn depuis 2015 (et bientôt dans le Lot).
Auteure et interprète du spectacle informatif sur la bientraitance des enfants « Maintenant tu sais pourquoi tu pleures »
Auteure du livre éponyme.
Créatrice du pack vidéo pour une parentalité consciente et confortable « Voyage en parentalité »
Site Internet : chloeelkaim.fr/.