1 thème, 6 questions, 3 sophrologues
L’émotion – Patricia Gotteland
Sans prendre de dictionnaire, dis-nous comment tu définis l’émotion de manière personnelle.
Ce moment unique et singulier, instant précieux, une plongée parfois redoutée, parfois espérée, jamais anodine, dans cet espace où conscient et inconscient se rejoignent et nous raconte l’instant présent, le chemin qui l’a précédé et celui qui en découle.
Comment accueilles-tu les émotions de tes consultantes et consultants lors d’une séance de sophrologie ?
C’est une partie à trois, qui se joue sans qu’il y ait de vainqueur. Parfois elle attendait simplement le moment d’apparaître, pour déployer ses ailes, atteindre les sommets. Un simple mot, un silence ouvert à tous les possibles de l’instant, peut la faire se dresser, fière enfin de se montrer et de réclamer son dû de tant de moments passés, d’instants ravalés, d’années enfermées, oubliée.
Parfois, nous pouvons passer une séance entière à la laisser émerger. Comme un frêle esquif battu par les flots, elle peut mettre longtemps à atteindre le rivage. Nous sommes parfois tenus à la secourir, lancer une bouée pour qu’elle puisse s’y accrocher, lui offrir le soutien de nos consciences entrelacées, lui insuffler notre souffle pour qu’elle s’y accroche et dans la tempête entrevoir la fin d’une errance, la terre promise où se reposer.
Quelle technique sophrologique te vient à l’esprit lorsque tu prononces le mot « émotion » ?
Choisir une technique précise est toujours délicat, hors du moment où nous la sentons prendre vie en nous. Elle émerge du moment présent. Comme intuition qui devance la pensée, quand elle apparaît à notre conscience, elle comprend en elle-même son intentionnalité.
Je peux inviter au vécu de la RD1debout ou assis, avec un objectif de laisser s’installer ce qui a à s’installer, à se vivre sans jugement, sans analyse, sans commentaire, dans l’espace corporel de notre conscience libérée et une intentionnalité sur la sécurité retrouvée de nos ancrages (appuis, souffle, mouvements, 5 sens).
L’accueil et un silence empathique avant tout, puis une invitation à vivre l’espace où l’on se trouve, le temps de la séance, sentir l’ancrage, (là où sont mes pieds, je suis), le contact de nos différents points d’appui, la respiration là où elle est présente et comment elle apparaît à la conscience de l’instant présent, l’écoute des bruits extérieurs jusqu’à la petite musique intérieure qui vibre au fond de nous, les couleurs derrière nos yeux fermés, la sensation de notre peau là où nous la sentons, le sentiment profond, corporel de notre verticalité et de la posture intérieure qui va avec, le mouvement de nos épaules et la libération ressentie lors de l’ouverture de nos poings fermés lors de l’expir (pompage des épaules), l’ouverture de notre gage thoracique qui accueille sans jugement les sensations (soufflet thoracique), la présence telle qu’elle apparaît de notre 4e système lors de sa mobilisation (mains en griffes), une rotation axiale pour sentir l’espace qui peut se déployer autour de nous, le mouvement de la marche et comment nous pouvons marcher avec cela, l’étirement salvateur des hémicorps et la réunion du tout.
Quelle est la partie du corps que tu trouves la plus émouvante et pourquoi ?
La gorge, ce petit creux où les mots de l’indicible se cachent parfois.
Raconte une petite histoire vraie sur un moment qui t’a réellement ému·e lors d’une séance de sophrologie (en groupe ou en individuel).
J’ai accueilli Mr X, un soir vers 19h à mon cabinet. Une journée remplie d’accueils divers et variés, et le sentiment qu’il serait bon de rentrer enfin chez soi. Il me parle de sa vie, de ses enfants qu’il élève seul, de son enfance et de toute sa peine accumulée…
Sa voix était quasiment inaudible. Je prêtais l’oreille pour l’entendre simplement, le comprendre parfois. Et puis les pleurs sont venus, saccadés au départ puis en rafales, dans un flot continu qui ne pouvait apparemment s’éteindre. Bientôt les mouchoirs ont manqué et il a pris son tee-shirt pour essuyer ses larmes. Je lui ai proposé de se mettre debout et je l’ai accompagné dans une RD1. J’étais derrière lui, et j’accompagnais chacun de ses gestes, dans un ballet à deux, en le contenant. Petit à petit, ses larmes ont cessé de couler. Il a convenu qu’il serait bien qu’il revienne. Il est revenu parfois au gré de ses tempêtes intérieures.
Écris une liste très personnelle qui commence par « je suis ému ou émue par »… ou « ce qui m’émeut c’est » mais commence toujours par les mêmes mots.
Je suis émue par la souffrance, la mienne et celle des autres.
Je suis émue par l’indicible et la force qui la contient.
Je suis émue par les rides d’un regard qui se dévoile.
Je suis émue par une petite main qui pourrait serrer la mienne, la force de la nature et du vivant qui jamais n’abandonnent.
Je suis émue par un silence complice, un mot lâché au hasard, une vie qui se brise, un éclat de soleil, une larme retenue, un sourire et un regard qui rient.
Je suis émue par le son grave d’un tambour, une musique lancinante venue du fond des âges, une voix intérieure qui racontent les temps anciens.
Je suis émue par les fées, les lutins oubliés qui se cachent derrière les troncs des vieux arbres vermoulus.
Je suis émue par les pas de ceux qui nous ont précédés et qui ont creusé les sillons que nous empruntons aujourd’hui.
Je suis émue par le temps qui passe, l’instant présent et le temps qui nous reste à vivre.
Je suis émue parfois sans le savoir.
Je suis émue parfois d’un « rien ».
Je suis émue parfois d’un « tout » et cela me contient.