ASMR et sophrologie : vers un nouveau terpnos logos, vers un nouvel espace sonore
Florian Boullot
Un soir de l’année 2013, je tombe sur l’article du blog rue89 parlant d’une sensation étrange que l’on nomme à l’aide du sigle « ASMR ».
Quatre lettres totalement mystérieuses… À la lecture de cet article, je découvre qu’il est question d’une immense communauté qui se réunit sur YouTube pour regarder et écouter des « vidéos ASMR ». Je clique alors sur un lien et tombe sur la vidéo de la Youtubeuse Maria GentleWhispering.
Je découvre une femme blonde d’environ 30 ans qui parle d’une voix très douce tout en pliant du linge, puis en se brossant les cheveux et en tapotant sur sa brosse en bois. Il ne se passe rien de très intéressant et pourtant me voici totalement relaxé en suivant les mouvements de mains et en écoutant la voix de cette youtubeuse rayonnante de bienveillance. Plus la vidéo progresse, plus je comprends les tenants et les aboutissants de cette « réponse autonome sensorielle culminante », en anglais : « autonomous sensory meridian response », c’est-à-dire l’ASMR. Mon esprit s’ennuie, mon esprit décroche… Mais autre chose en moi s’accroche à cet instant, à cette vérité simple, à ces mouvements doux, et surtout, je ressens quelque chose d’étrangement agréable au niveau de la tête et dans le dos, comme un doux frisson qui vient chasser toutes les tensions dans mon corps. Une sensation qui n’est pas du tout nouvelle et que je ressens depuis l’enfance dans mon quotidien et qui, à présent, porte un nom. Elle est autonome parce qu’elle se déclenche seule, sans même que l’esprit n’ait à intervenir, sans volonté, juste au contact du monde.
Fasciné par cette étrange et agréable sensation au niveau du crâne qui se déclenche grâce à divers stimuli visuels et sonores entre autres, je me crée rapidement un rituel avant de m’endormir le soir. Je regarde une vidéo ASMR sans chercher à apprécier le contenu mais davantage à la recherche de cette espèce de « massage du cerveau ». Tout y passe : brossage de cheveux, doigts qui tapotent sur des surfaces en plastique, en bois ou en métal, voix chuchotée, voix douce, crépitement du papier ou du papier bulle.
Je n’ai jamais eu de grande difficulté à m’endormir, mais grâce à ce contenu digital, je m’endors encore plus rapidement. Fasciné par les effets relaxants de cette sensation et par la bienveillance de cette communauté, je décide alors au bout d’un peu plus d’un an, en janvier 2015, de créer ma chaîne YouTube ASMR.
Crédit photo : Cédric Vasnier
Étant musicien et chanteur dans le duo pop Cassandre, j’ai déjà un peu de matériel de musique, notamment deux microphones statiques. Un soir, j’ose me lancer et je crée ma première vidéo ASMR en respectant les codes usuels : mouvements doux, voix douce et chuchotée. Je commence à déguster un chocolat parisien dont je vente le doux papier bible qui produit un son très agréable, j’évoque toute la richesse et l’évolution gustative de ce trésor cacaoté. Je publie ma vidéo et nomme ma chaîne « Paris ASMR ». J’ai pour projet de partager des dégustations de pâtisseries parisiennes, de partager une visite culturelle, un moment doux, des lectures, un moment calme dans un Paris à l’image de celui d’Amélie Poulain, fascinée par les couleurs, curieuse telle une enfant devant le mouvement de la vie et la beauté d’un instant.
Dès le lendemain, 150 personnes se sont abonnées à ma chaîne et réclament une nouvelle vidéo. Le projet est lancé et je dispose d’un laboratoire sonore qui va bientôt m’ouvrir les portes du musée du Louvre et du château de Versailles.
De semaine en semaine, je fédère plus de 200 000 internautes qui m’écoutent pour se déconnecter après une journée de stress. Je n’ai aucun talent, je chuchote… Je crée des sons doux… Je suis bienveillant. Je constate alors des besoins récurrents chez mes « viewers » : insomnie, mauvaise qualité du sommeil, crise d’angoisse, peur panique, dépression, manque d’estime de soi, épreuve à surmonter comme une rupture, un examen stressant, un permis de conduire… Tous les soirs, des centaines de milliers d’internautes regardent ces vidéos ASMR et je suis loin d’être le seul à proposer ce type de contenu.
Je me dis toutefois que l’ASMR peut totalement s’associer à une technique psychocorporelle. J’écoute mon cœur et commence à chercher une école, une phrase d’accroche, un lien avec la relaxation. Je tombe très vite sur la sophrologie et plus particulièrement sur le cursus de sophrologie intégrative proposé au CENATHO. C’est dans cette école que je vais me former pendant 2 ans, apprendre à mieux me connaître mais aussi à trouver de très nombreux outils pour aider ma communauté.
Avant l’obtention du diplôme, je teste déjà le scan corporel, et j’observe que la technique fonctionne merveilleusement bien sur ma communauté. Une fois le diplôme en poche, j’ouvre enfin mon cabinet de sophrologie dans la petite commune de Couilly-Pont-aux-Dames en Seine-et-Marne (là où Sarah Bernhardt est venue finir ses jours). Je rénove un vieux cabinet dentaire, je couvre mes murs de bleu Klein, j’installe deux fauteuils confortables, et je réalise alors que je vais mener des séances de sophrologie sonorisées. Je suis sophrologue praticien, et j’ai un outil de plus qui épouse comme un gant les visualisations que je fais pratiquer : le binaural !
Mais alors comment se déroule une séance de sophrologie binaurale ?
Le temps d’anamnèse, les relaxations dynamiques sont menées telles qu’on me les a enseignées. C’est lors de la phase de sophronisation que je procède différemment. La personne que j’accompagne porte une paire d’écouteurs bien fermés et reliés à une interface audio.
Moi aussi je porte une paire d’écouteurs, installé face à la personne que je sophronise. J’utilise le micro 3dio Space dont la forme ressemble à deux oreilles en silicone avec une capsule très sensible à l’intérieur.
Je parle de chaque côté du micro et commence la sophronisation. On pourrait me rétorquer qu’en posant des écouteurs sur les oreilles d’un client, on le coupe du monde. Cependant, le binaural est l’occasion de créer un espace sonore en résonnance avec l’espace intérieur du sophronisé pour enrichir sa vivance. Il ne s’agit pas de refaire une session ASMR comme sur Youtube. L’ASMR est davantage au service de la sophronisation. La voix étant sonorisée, le terpnos est plus proche et voyage de l’hémisphère gauche vers l’hémisphère droit et inversement. Ce terpnos m’a inspiré le nom de mon cabinet de sophrologie où tout baigne dans un bleu profond et vibratoire : « la voix bleue » : réminiscence de la voix de la mère alors que le bébé est encore dans son paradis océanique, réminiscence des moments doux de l’enfance lors des histoires racontées avant de s’endormir. À ce terpnos doux, j’associe des sons que mon micro binaural diffuse : le bol de cristal, les cloches de méditation, les diapasons avec fréquences alpha. La personne que j’accompagne est certes assises à environ 3 mètres de moi, mais je peux faire voyager les sons et le terpnos autour de sa tête grâce à mon micro. Mieux encore, je peux amplifier le son de mon souffle à l’aide de delay et de reverb. Ce faisant, mes clients sont très rapidement en état alpha et repartent avec un enregistrement audio identique à la sophronisation en cabinet qui leur permet de refaire aisément les pratiques chez eux.
En 2023, j’ai pu animer mon premier module de spécialisation pour sophrologues au CENATHO. Je suis convaincu qu’il y a bien des manières d’utiliser le son binaural dans les techniques psychocorporelles. En dehors de mon cabinet, je tourne des courts-métrages ASMR dans de grandes institutions culturelles à la recherche des sons, dans la contemplation des textures, à l’écoute profonde des objets, témoins du passé. J’ai déjà travaillé 2 fois avec le château de Versailles, aussi avec le musée du Louvre, le musée Guimet, le musée Carnavalet et tout récemment le Mobilier National. Mon but est à présent de sortir l’ASMR des carcans du digital qui va de plus en plus vite, avec des contenus de plus en plus courts comme les « reels », les « shorts ». Mon but est de prôner la lenteur, de laisser de l’espace au corps dans des lieux où c’est l’esprit qui croit tout dominer. Si vous ne connaissez pas encore l’ASMR, prenez le temps de goûter à cette délicieuse lenteur.
Propos de Florian Boullot
Courte biographie
Florian Boullot est professeur d’allemand dans l’Éducation Nationale, chanteur dans le duo Cassandre et vidéaste ASMR. Il accompagne ses clients dans son cabinet de sophrologie à Couilly-Pont-aux-Dames.
Site Internet : www.lavoixbleue.com.